samedi 16 avril 2016

Jamila Lamrani. Cité(s) de mémoire

Cité de mémoire 2. Intervention sur photo, 2016. Courtesy de l'artiste.



"Une mémoire immémoriale travaille
dans un autre arrière-monde.
 Les songes, les pensées,
les souvenirs ne forment qu’un seul tissu."
G. Bachelard.



Une femme déplace dans la ville les carrés d’un damier cousu d’ombre et de lumière. Elle convoque les moucharabiehs sans lisières de la nature, et les cités qui ont renoncé à la vie pour habiter la mémoire. Jardins noirs où la huppe guide pourtant encore les pèlerins de la quête et des bons augures. Nous observons l’artiste construire une architecture provisoire pour "les habitants délicats des forêts de nous-mêmes"(°). Elle défait patiemment les fils invisibles qui nous entravent pour les broder sur le mur en phrases oracles. 

Ici l’on perd le sens de la mesure en buvant l’élixir de l’immensité et des débordements. Ici, l’on court à perdre le souffle dans l’exiguïté des murs puisque la cellule est une fenêtre ouverte sur des nuages voyageurs. Ici, l’on est invité à désapprendre l’oubli pour citer de mémoire la lumière. Il semble qu’elle soit une ombre qui danse entre les plis de tissus fragiles et éthérés, rongés par le temps et par l’ennui. Il semble qu’elle soit une non-présence qui se glisse dans les interstices de chaque déchirure reformulée. Page ouverte sur les leçons de choses surannées. Tiroir où résonne le son des mots étranges et à jamais étrangers. Ici, il s’agit de croire en cet arbre qui a surgi en quelques heures, mettant à profit l’espoir fou d’une branche et la brèche béante de l’insomnie. Introduction à une chambre blanche, découpée à la genèse dans les pans insondables de la nuit.
 
Pour tel univers, telles ombres. Il n’y a pas de visages dans l’œuvre de l’artiste. Il y a des silhouettes, il y a une ébauche d’êtres et de traits. Il y a des corps qui reprennent à la vue leur véritable apparence. Il y a des étendues séparées de nous, et cette impossibilité du pas à les rendre plus proches, parce qu’ancrées dans nos entrailles. Leur silence est l’écho de notre voix. A les regarder une impression de déjà vu s’incruste par l’œil, par l’ouïe, par les fleurs de peau. Nous avons déjà foulé pareils territoires. Nous avons déjà posé contre notre gré en pareille posture. Jamila Lamrani se contente juste de citer de mémoire ce que nous avons choisi ou cru oublier. Scribe de ces mots griffonnés en marge, que l’on inscrit presque par inadvertance, et qui pourtant redressent en nous l’ossature secrète menaçant à chaque instant de s’écrouler. 

(°) Bachelard, Poétique de l’espace.

Cité(s) de mémoire. Exposition jusqu’au 24 avril 2016.  
Centrum Sete Sóis Sete Luas, Pontedera, Italie.