samedi 20 juin 2015

Younès Rahmoun. A l’ombre de l’olivier

Zaytûna. Vidéo, 2014, courtesy de l'artiste et de la galerie Imane Farès.


L’artiste marocain Younès Rahmoun a exposé « Habba – Zaytûna » à Tunis, mars dernier. Entre œuvres anciennes et d’autres plus récentes réalisées lors de sa résidence à l’île de Djerba, son cheminement se dévoile, empreint d’harmonie, à la fois ancré dans la contemporanéité, dans la mystique soufie et dans le zen.


Il faut se baisser pour accéder au petit espace où est projetée en boucle la vidéo Zaytûna, s’asseoir sur un minuscule tabouret en bois puis regarder. Contempler. Rencontrer dans l’intimité de l’exigu un olivier, presqu’irréel, qui déploie ses branches vertes sur fond de terre ocre et de silence. Le vent semble remuer ses feuilles, mais est-ce bien le vent ?

« J’ai effectué une résidence de deux semaines à Djerba, à l’invitation de Selma Feriani Gallery, raconte Younès Rahmoun. Sur l’île, les oliviers étaient partout et certains d’entre eux étaient millénaires. L’image de cet arbre m’a tout de suite interpellé, mais je ne savais pas encore comment l’introduire dans mon travail. Je suis issu du rif, de la méditerranée et l’olivier est un arbre méditerranéen, mais c’est surtout sa dimension sacrée qui m’intéresse. Dans le Coran, il est l’arbre qui symbolise la lumière.»

L’artiste observe, prend des vidéos, revient à plusieurs reprises, avant de trouver « son » olivier. « Ce que je recherchais, c’était l’image de l’arbre parfait qu’on porte en soi. Grâce à un mode d’enregistrement que j’ai découvert par hasard, j’ai obtenu une capture que caractérise un léger tressaillement. Quand on regarde la vidéo, on remarque aussi un effet très symétrique. L’arbre et son ombre forment une sorte de cercle écrasé. Et cela ne dure qu’un moment.» C’est cette minute parfaite que Younès Rahmoun choisit de montrer en boucle, celle d’un arbre millénaire qui « vibre comme un enfant plein d’énergie ».

« Zaytûna », de par ses dimensions réduites, contraste avec la vidéo Habba projetée dans une autre pièce et qui dévore l’espace. « Depuis sa création en 2008, Habba est toujours montrée projetée sur un grand mur pour mettre en lumière le développement de la graine dans la terre. Il s’agit pour moi de révéler un monde invisible qui s’épanouit dans l’obscurité. C’est aussi un dessin, une animation, et la visualiser en grand permet de percevoir la trace du trait de crayon, toutes ces nuances riches et subtiles du noir s’écrasant contre la surface blanche de la feuille. »


L’huile d’olive, une matière lumière

Dans la série de dessins Qishr wal loubb, l’artiste utilise pour la première fois l’huile d’olive. « Je l’ai découverte en tant que matériau dans l’œuvre des artistes Yazid Oulab (Algérie) et Josep Ginestar (Espagne). Le premier l’a utilisée comme une affirmation de son identité, le second dans une installation pour matérialiser le bassin méditerranéen. En ce qui me concerne, je la vois comme une matière liquide qui symbolise la lumière. Maintenant, sur le plan technique, on peut obtenir le même résultat visuel qu’avec l’huile de lin par exemple ; mais ce qui m’importe, c’est le fait de dire que j’ai utilisé l’huile d’olive. Pour moi, nommer les choses est important ; cela leur donne une présence, leur confère un sens nouveau et différent ».


Qishr wa loubb. Technique mixte sur papier, 2014. Courtesy de l'artiste.


Qishr wa loubb, dans la continuité de Habba, est une ode à ce miracle réitéré « qui fait qu’une chose enterrée donne vie à quelque chose de vert comme la feuille ou de précieux comme le diamant ». Et l’on retrouve dans les archives de l’artiste cette citation qui date de quelques années et qui relie son travail d’aujourd’hui à celui d’hier : « Par ailleurs, une graine ne pousse que dans l’obscurité. C’est une manière pour moi d’évoquer l’idée de retraite, car il est bon de se retirer du monde parfois, afin de travailler sur soi. On peut penser qu’une personne qui se retire est une personne égoïste, qui ne participe pas. En réalité, je crois que pour donner, il faut en être capable, c’est-à-dire s’être développé suffisamment. Ainsi, la graine se développe progressivement et donne des fruits. »

Migration de l’intérieur vers l’extérieur, mais aussi migration d’un lieu à l’autre qu’illustre l’œuvre Hijra. Des galets ramenés du Rif marocain sont déposés dans un champ d’oliviers à Djerba quand des pierres de ce même champ se retrouvent au milieu des galets du Rif. De cette ‘’transhumance’’, ne subsistent comme trace que des archives visuelles, des dessins minimalistes reprenant la forme des pierres, et des photos qui soulignent la singularité des ‘’protagonistes’’ dans leur nouvel espace de vie. « Hijra, s’intitulait auparavant Safar. J’ai réalisé ce projet dans le sud marocain, à Damas en Syrie, à Amman en Jordanie, à Cotonou au Bénin et aujourd’hui à Djerba en Tunisie, avec toujours comme point de départ et de retour le rif marocain. J’ai substitué le mot Hijra à celui de Safar pour évoquer la migration de toutes ces personnes qui se sont déplacées le long de l’Histoire, qui continuent à se déplacer dans le monde, que ce soit par obligation ou par choix. Nous sommes, comme les atomes, les étoiles ou le cosmos, initialement, continuellement, en mouvement. Notre mouvement est naturel et légitime, mais c’est l’homme qui crée les entraves à ce déplacement censé avant tout être spirituel. »

Jâmûr, terre en lévitation

L’exposition Habba-Zaytûna, c’est aussi l’imposante installation Jâmûr, une autre manifestation chez l’artiste du thème qu’il explore depuis des années : les 77 branches de la foi, ensemble de préceptes de l’islam, déclinées à chaque fois sous une forme différente. L’installation Jâmûr cette fois inspirée des boules qui rehaussent les minarets et qui sont d’habitude fabriquées en cuivre, prend ici l’apparence de 77 jarres en terre qui rappellent les gargoulettes utilisées dans la pêche au poulpe. « Avec Fathi, le potier djerbien qui les a façonnées, nous avons tenté d’obtenir une forme moins pointue, plus sphérique ». Les colonnes de Jâmûr conjuguent fragilité et robustesse, défient les lois de la pesanteur en flottant à quelques centimètres du sol et, contenants vides, se font source inattendue de lumière. « Quand j’utilise des matériaux lourds, j’essaye toujours de leur insuffler une certaine légèreté, de les transcender, les teinter d’une dimension spirituelle ».


Jamûr. 2014, 77 pièces en terre cuite, câbles en acier, ampoules, câbles électriques et électricité, dimensions variables. Courtesy de l'artiste.


Une dimension spirituelle qui imprègne toute l’exposition dont le véritable fil conducteur demeure la tourba, la terre. Et c’est cette terre qui fait que les anciennes œuvres de Younès Rahmoun dialoguent en toute harmonie avec les plus récentes, entre vide et plein, obscurité et lumière, visible et invisible. Dans un ascétisme et une apparente simplicité, tels les haïkus japonais.

« Le soufisme (tassawuf), j’y suis arrivé non par la voie des musulmans soufis mais à travers la pensée orientale ancienne comme le bouddhisme, le zen », déclarait il y a quelques années l’artiste. Comment cependant réussit-il à garder cette sérénité qui caractérise son art, dans la tourmente que traverse le monde musulman,  obligé de faire face à ses extrémismes ? « Je trouve qu’en ce moment, on a besoin d’une démarche comme la mienne, ou celle de Yazid Oulab, démarches qui s’inscrivent dans le temps, et qui réconcilient le ‘’regardeur’’ avec la culture de l’islam, le reconnectent à sa beauté, et à son côté pacifiste et serein. Ma meilleure réponse à l’obscurantisme, c’est la recherche ininterrompue et inlassable de la lumière ».



Exposition Habba - Zaytûna. En collaboration avec la galerie Imane Farès.
Commissaire de l’exposition : Marc Monsallier.
Site de l'artiste : www.younesrahmoun.com/